C’est l’histoire des petits détails dont l’inclusion ou l’omission change le narratif et le sens qu’on peut donner à des événements.
Un exemple concret : la chronologie.
- J’ai donné un ultimatum avec un délai.
- Le délai n’a pas été respecté.
- J’agis donc, en dénonçant publiquement la faute et la personne.
Voici un exemple de ce qu’on nomme une description pauvre dans les approches narratives. Il y a quelques événements, pas de complexité, mais une linéarité, un point de vue fixe, et des événements choisis pour le discours que je veux transmettre.
Et si on ajoutait quelques détails à la situation donnée ?
Antérieurement à l’ultimatum, Il y avait un échange avec plusieurs points de désaccord, et ce de longue date. Le point de vue de mon interlocuteur ne correspondait pas à ce que je voulais, c’était très difficile. Puis j’ai reçu un message en me prévenant que la personne partait en vacances et qu’elle ne lirait plus ses mails jusqu’à son retour. Cela m’a mis hors de moi, je voulais régler les questions au plus vite. Bien que je sache qu’elle soit partie en congé et qu’elle ne lirait pas mon message, j’ai envoyé un ultimatum à date très proche, bien avant la fin de ses vacances. Comme la date de l’ultimatum n’était pas respectée et que tout est resté en l’état, j’ai agi en publiant un post pour dénoncer la faute et la personne.
Quand nous racontons une histoire, nous choisissons d’inclure ou non certains détails. En général nous mentionnons des éléments qui soutiennent le sens qu’on voudrait donner ou le point qu’on veut souligner.
Avec ou sans la chronologie complète, le sens qu’on peut donner à cette histoire est complètement différent. Disons que si je veux prouver que la personne a fait une faute grave, j’ai intérêt omettre que j’étais prévenu du départ en vacances, et m’en tenir à une description simplifiée. Si j’intègre toute la chronologie et les détails, l’histoire devient beaucoup moins linéaire et la complexité de la situation devient visible. Et il sera beaucoup plus difficile de catégoriser l’événement ou de le réduire à un seul de ses éléments.
Le récit, c’est une sélection d’événements parmi de nombreux possibles en fonction d’un thème ou message qu’on souhaite transmettre, et arrangé en séquence dans le temps.
Dans l’exemple donné il y a un seul événement. Un seul détail a été ajouté à cet unique événement. Je vous laisse imaginer comment le message et la perception du récit peuvent changer, si on inclut, pour tous les événements de cette longue histoire, plus de détails et de nuances. Car il est probable, et même certain, que si simplification il y a dans l’un des événements de l’histoire, des simplifications seront présentes tout au long des interactions, conformément au message que je veux transmettre. Je ne vais par exemple pas choisir de parler des mêmes détails de l’événement suivant mon intention de démontrer par exemple un effort de communication ou un évitement, une collaboration difficile ou une faute grave.
Les descriptions riches de détails des histoires permettent de voir autre chose que ce qu’on aurait pu imaginer de premier abord. En reprenant l’exemple, d’une histoire d’une personne qui ne respecte pas un ultimatum, on arrive à une histoire d’une personne qui s’efforce de dialoguer et qui prévient l’autre de son absence. En effet, elle n’a pas respecté l’ultimatum car elle n’en avait pas connaissance.
Canard ou lapin ?
Les approches narratives s’intéressent aux détails. Nous questionnons les événements avec un regard curieux et candide pour découvrir les détails qui ne soutiennent pas l’histoire dominante. Il est donc très important de garder les yeux et les oreilles grand ouverts pour découvrir ces détails dissonants et de poser des questions sur les nuances pour mettre en lumière ce qui était omis dans une première version, ou ce à quoi la personne qui raconte l’histoire ne semblait pas prêter attention. Sur le dessin ci-dessus, ce n’est pas en criant plus fort qu’il s’agit d’un canard qu’on va pouvoir faire disparaitre le côté lapin du dessin.
Il ne s’agit pas d’avoir raison ou pas.
Il s’agit de participer à construire des relations humaines plus saines et plus respectueuses pour chacun des protagonistes de l’échange.
Dans l’approche narrative, notre tâche est d’enquêter et de découvrir, puis inclure ces événements ou détails. Cela permet une autre lecture de l’histoire ou des problèmes, une requalification de ce qui s’est passé et l’émergence de ce qu’on appelle une histoire alternative.
Je vous laisse imaginer ce qui se passe avec notre vision d’une histoire quand on inclut des « gros » détails ! Et comme illustration, j’ai choisi une vidéo ancienne où le journal britannique The Guardian met en scène ce principe – principe qui n’est bien entendu pas uniquement qu’un principe journalistique. * Elle est intitulée « Points of view ».
On voit d’abord une personne qui attaque un passant. Puis la même scène est revue depuis une caméra plus éloignée, qui permet de voir plus largement autour. Et on se rend compte qu’il n’était aucunement question d’une attaque. La personne a essayé d’écarter le passant d’une palette de briques qu’il ne pouvait pas voir (car en dessous) et qui était sur le point de s’écrouler sur lui.
La première histoire pourrait raconter : je me suis fait agresser dans la rue. La deuxième, toujours avec les mêmes faits et événements, mais en incluant les détails pourrait s’intituler Un inconnu m’a sauvé la vie. Une différence de taille.
Avec ces explications et exemples, j’espère, les trois postulats des approches narratives prennent forme et deviennent vivants :
- Le problème est le problème.
2.La personne est la personne.
3.La personne n’est jamais le problème.
Catherine Mengelle ajoute dans son livre Grand manuel d’approche narrative à la fin de ces trois postulat : » …. ni sa maman ni son N÷1″. Je vous laisse continuer la liste à votre guise.
Je vous invite donc à rester curieux et ouvert quand vous entendez une première lecture d’histoire présentée d’un point de vue très marqué. Cet espace de curiosité et d’ouverture qu’est l’approche narrative permet l’émergence d’une autre lecture des événements, il permet aussi aux problèmes de se dégonfler, de rendre aux gens leur dignité et leur capacité à agir et au final, aux relations la possibilité de s’apaiser.