Au commencement…
Je me souviens encore de ce rendez-vous d’il y a dix ans comme si c’était hier.
Une dame avec de multiples troubles vient me voir. Il se trouve que selon son profil et ses problèmes je pense qu’il lui serait préférable de ne pas manger de yaourt à chaque repas en plus des quantités de fromage ingurgitées. Mais en creusant, je me rends compte qu’il lui était interdit de manger des yaourts au cours de son enfance. Et qu’en quittant la maison familiale, elle s’était mise à manger un yaourt à chaque repas et que cela durait depuis 30 ans. Malgré une dizaine d’années de thérapie, elle restait attachée à ses yaourts, à son histoire familiale et ne pouvait sortir de la peau de la jeune fille qui avait réagi à l’époque à l’interdiction par une surconsommation de cet aliment.
Bien entendu le problème dans son cas n’est pas le yaourt lui-même, mais il se manifeste entre autres par le yaourt. Si je l’envoie chez le psy, cela ne servira à rien, elle a déjà fait 10 ans d’analyse. Je pourrais lui interdire de manger des yaourts, mais on répéterait alors une N-ième fois son scénario interdiction-révolte. Je ne vois pas l’intérêt, cela ne l’avancerait en rien. Que faire alors ?
Pourquoi mettre en place une thérapie alimentaire et ne pas simplement dire aux gens quoi manger ?
C’est vrai, cela serait tellement plus simple : la personne arriverait, exposerait son souci et je lui dirais quoi manger. Puis s’en irait, mettrait en place ce qu’elle aurait entendu et le miracle s’accomplirait…Sauf que cela se passe assez rarement comme ça, sauf pour des personnes très malades qui ont une motivation qui les pousse à respecter un plan alimentaire car l’épée de Damoclès plane en continu au-dessus de leur tête de faire revenir les symptômes qui les font souffrir.
Je me suis mise à la recherche des réponses à cette question. A travers des Grands qui m’ont précédée, j’ai découvert que mon questionnement était valable, d’autres ont été confrontés aux même problèmes. Et certains ont proposé d’autres voies.
J’ai découvert plusieurs illustres spécialistes de la nutrition et du psyché humain comme Michel Guillain ou bien le Pr. Jean Trémolières pour ne citer qu’eux.
J’ai découvert que le comportement alimentaire ne constitue que la partie visible de l’iceberg. Il y a l’énorme partie invisible, qui, si elle n’est pas traitée, va nous empêcher de travailler sur la partie visible. La manière dont nous nous comportons avec la nourriture, les excès, les refus, les déviations, les pulsions ou les compensations cristallise une difficulté qui se trouve ailleurs, sur un autre plan de notre vie. Difficile d’obtenir un changement durable si nous n’agissons que sur la partie émergée. Ce qui complique la tache, c’est qu’en général les gens sont inconscients du problème de base, ils ont oublié ou étouffé l’événement responsable de la souffrance.
Les besoins répondent à des blessures du passé, mais ils peuvent devenir compensatoires. La compensation est un mécanisme psychique inconscient qui permet de soulager une souffrance intime par la recherche d’une satisfaction supplétive. C’est un palliatif, car la personne ne sait pas exactement ce qui lui « manque ». Elle obtient une satisfaction de remplacement qui peut faire oublier le besoin de départ. Comme dans mon exemple le yaourt a répondu à cet événement vécu dans l’enfance par la cliente.
Pour pouvoir sortir du système compensatoire, il faut comprendre que les compensations et les dépendances constituent des actes de reconnaissance. La répétition fréquente du même comportement fait en sorte que le système de compensation se rigidifie. On ne peut plus éviter un comportement (par ex manger du chocolat), mais on est loin de satisfaire le besoin de base, on se débarrasse juste d’une tension intérieure. L’essence d’une récompense réside dans l’attention reçue. La personne craint de ne plus connaître aucun plaisir ou soulagement de cette tension si elle abandonne le comportement. Peut-être pouvez-vous maintenant mieux comprendre la colère des clients quand vous leur proposez de faire un essai sans pain/fromage/sucre/chocolat etc.
Les deux clés du succès
1. Des liens entre la relation à la nourriture et la relation à la vie doivent être faits, et pas seulement par le mental, mais vécus au niveau des tripes ;
2. Il faut, à un moment donné, toucher l’émotion douloureuse (de base!) avec le cœur et les tripes et la réévaluer en l’acceptant, en l’accueillant avec bienveillance et lui donner un nouveau sens
Modifier un comportement alimentaire, c’est une descente au plus profond de la personnalité. – ce que feu le Pr Trémolières avait déjà énoncé dans les années 60.
Ce qui signifie que si on en reste à « mangez ci » , « ne mangez pas ça », « mangez telle quantité, à tel moment » etc., nous ne titillons que la partie visible de l’iceberg. Oui, bien sûr, on peut perdre des kilos en se privant, on peut s’imposer des mesures drastiques pendant un certain temps pour « se débarrasser de la candida »(ou d’autres choses). Mais que se passe-t’il en général après ? Ce que je vois dans ma pratique c’est que dès que ces mesures ne sont plus observées, les problèmes reviennent au petit trot, dans certains cas au galop. Pourquoi donc ? Justement parce qu’on a simplement effleuré un peu la surface au lieu d’explorer les profondeurs.
Du constat à la pratique
Voilà, ce fut le point de départ pour mes recherches. Mais il me fallait des outils pour avancer. Mon but était de trouver des moyens « détournés » pour traiter ces problèmes qui se manifestent lors des entretiens avec mes clients, sans pour autant prendre la place d’un psy. Connaissant la pleine conscience depuis longtemps, il m’est apparu logique de porter tout d’abord mon attention vers les programmes « manger en pleine conscience ».
Nous savons donc que les émotions jouent un rôle très important dans la mise à jour de ces liens. Mais comment amener tout cela dans ma pratique ? Je me suis formée et j’ai proposé pendant plusieurs années des ateliers en groupe « manger en pleine conscience », ainsi que des stages. Après quelques années, quelque chose est devenu clair pour moi : les clients qui viennent dans ces ateliers ne viennent pas travailler sur leur alimentation. Et ceux qui viennent pour le profilage ne viennent pas dans les ateliers. Et pourtant, ils en auraient grand besoin. J’ai donc commencé à proposer des groupes basés sur le profilage alimentaire où dans lesquels j’ai intégré tout au long du chemin des exercices et des méditations de manger en pleine conscience. Je pouvais comparer avec les groupes d’avant, qui étaient basés sur une seule approche, et j’ai vite compris l’intérêt de conjuguer les deux. J’ai donc amené des bases de profilage dans les ateliers manger en pleine conscience. Et bingo, ce type de groupe a donné beaucoup plus de résultats et a produit un changement chez les participants.
Je savais que j’étais sur la bonne voie. J’ai donc inclus la partie manger en pleine conscience dans mes consultations également. Ce n’était pas une mince affaire, ni pour moi, ni pour mes clients. N’étant pas trop sûre de moi, manquant d’expérience, j’oscillais entre les deux types d’approche, atteignant au début rarement le juste milieu. Puis j’ai commencé à proposer simplement à mes client s’ils avaient envie de découvrir un exercice ou une méditation, s’ils souhaitaient prendre les choses autrement. Et j’ai commencé à comprendre que je ne devais pas chercher à savoir ce qui était bon pour la personne, que je pouvais simplement lui décrire les possibilités, qu’il lui revenait de choisir, tout en sachant que si la voie retenue n’aboutissait pas, nous en aurions d’autres pour avancer.
Ce fut une véritable révolution dans mon travail.
Plus de pression, plus d’heures et des heures de préparation par peur de ne pas être à la hauteur, beaucoup moins de fatigue, de pensée intempestives après les entretiens, et un calme incomparable.
C’est à cette époque qu’une autre formation issue de la supervision m’est venue en aide, et a ajouté d’autres flèches à mon arc.
Mais cela, je vous le raconterai la prochaine fois.