Une première fois
– Allo !
– Bonjour, je suis Madame X. Je vous ai laissé un message, j’aimerais prendre rendez-vous.
– Bien sûr, pas de souci.
– Avez-vous des possibilités la semaine prochaine mercredi ou samedi ?
Un frisson me gèle le sang. Zut.
– Je crains que non. Je ne travaille pas le mercredi et le samedi.
– Ah, je suis kiné et les autres jours je travaille. Bon, alors pouvez-vous me donner un créneau un soir à 20h ?
Le frisson devient glacial et atteint à présent, avec une force irrésistible, même mon grand orteil gauche. J’avale avant de répondre.
– Je prends des rendez-vous individuels le mardi et le jeudi entre 9h et 17h.
Un grand blanc dans le téléphone.
La panique intérieure est à son comble. « Tu vas perdre ce client » me souffle une petite voix. J’aimerais faire marche arrière, mais j’ai prononcé les phrases, je ne peux plus y revenir, à moins de devenir peu crédible et ridicule. En attendant la réaction, que je présume négative, je me remémore les heures de discussion avec ma superviseure et les raisons qui me poussent à établir mon rythme et mes horaires. « Je vais lui dire que c’est sa faute, si je la perds » – la voix intérieure d’une ado de 14 ans hurle dans ma tête. Puis « Oh, non, j’ai besoin de travailler, de gagner ma vie ». J’ai chaud, j’ai froid, je ne sais pas où me mettre. Je ne sais pas quoi faire. Je panique.
Mon monologue intérieur est interrompu par la voix au téléphone :
– Ah, ok. Le rendez-vous dure une heure ?
– Oui.
– D’accord. Alors je peux un jeudi entre 13h et 14h. C’est quand, votre prochaine possibilité ?
– Dans 15 jours.
– Parfait.
C’était la première fois dans ma vie que je fixais le cadre que je me suis donné et que je n’ai pas cherché à plaire, à faire ce que je pensais que l’autre en face souhaitait.
Au risque de lui déplaire.
Au risque de perdre le client.
Au risque de perdre de l’argent.
La première fois que je me suis respectée dans mes horaires et mes jours, j’ai longtemps travaillé et discuté en supervision. Pour établir mes limites. Pour travailler dans de bonnes conditions, pour être efficace, pour préserver mon temps avec mes enfants (à l’époque petits). C’était une des raisons pour lesquelles je me suis reconvertie : pour avoir du temps et pour pouvoir être avec mes enfants. Mais pendant les premières années de mon activité, cela ne s’est pas passé comme je l’imaginais. Par peur de perdre un client, je m’adaptais. A tous et à n’importe quoi. Et je suis de nouveau arrivée proche d’un burn out. J’ai donc demandé de l’aide et cherché un superviseur. Et là, pour la première fois de ma carrière d’accompagnante, je vois le résultat. Mon superviseur avait raison : si quelqu’un veut travailler avec moi, il trouve une solution.
Prendre soin … de SOI ?
En tant qu’accompagnant de personnes en recherche de mieux-être, vous connaissez la valeur de “prendre soin de soi”. Vous en parlez quotidiennement à chaque client qui franchit votre porte, et vous y croyez vraiment. Pourtant, vous avez du mal à prendre soin de vous. Vous connaissez l’adage sur les plus mal chaussés….
Alors dans cet article, je vous donne quelques éléments de réflexion pour prendre mieux soin de votre ressource la plus précieuse : vous-même. Car c’est non seulement important, mais indispensable quand on est à son compte. La survie de votre entreprise dépend d’une seule personne : vous-même.
En général, on fait comme on peut dans notre quotidien bien rempli : un massage de temps en temps, une promenade à la pause du midi ou une relaxation/yoga une fois par semaine.
Ces petits gestes sont utiles et agréables, mais ils ne contribuent guère à réduire le stress sous-jacent du travail d’accompagnement.
En effet, prendre soin de soi n’est pas un acte isolé, c’est une pratique qui exige que vous donniez continuellement la priorité à votre propre bien-être, même lorsqu’il est difficile de le faire. Le mieux est donc de lever la tête du guidon, au quotidien, et observer le paysage de loin. Pour poser des actes réguliers qui deviendront significatifs et qui vous aideront sur du long terme à faire votre travail dans la joie, avec de l’énergie. (La question du Perfectionnisme, qui a tendance à s‘inviter à tout bout de champ, on la traitera dans un autre article. C’est le type d’invité que vous mettez à la porte à un moment et qui rentre par la fenêtre un peu après, mais ce n’est pas le sujet de cet article, je ne vais pas le laisser s’infiltrer aujourd’hui).
Comment donner continuellement la priorité à votre bien-être ?
Pour un accompagnant, Le minimum vital de Soin de Soi peut ressembler
– Se fixer des limites et les respecter
– Faire plus de choses que l’on aime
– Trouver un sens à sa vie en dehors du travail
– Examiner les croyances inutiles
– Chercher une supervision pour être soutenu
Examinons ces points un par un !
1. Se fixer des limites
Défendre ses propres intérêts et son territoire est une première étape importante pour chaque accompagnant qui s’installe. Qui n’a pas accepté au début des horaires pas possibles, qui n’a pas renoncé à son cours de poterie ou de sport ou sa lecture ou sa marche pour arranger un client difficile en mal d’agenda ? Levez la main si jamais ce n’est pas le cas !
Comme c’est bizarre, je ne vois pas de main.
En tant qu’accompagnant, la plus fondamentale de vos tâches pour trouver l’équilibre, et durer dans ce métier, c’est de protéger votre temps, votre énergie et de délimiter la charge de travail. Il est indispensable de défendre vos besoins et d’explorer les possibilités d’ajustement car la pierre angulaire de votre entreprise, c’est vous. Si vous n’êtes pas en forme, si vous êtes malade, si vous êtes en burn out, vous ne gagnerez pas d’argent, votre entreprise coulera et vos rêves s’envoleront.
Donc Prendre soin de Soi n’est pas une lubie bobo à tendance développement personnel, c’est juste l’assurance d’une longue et heureuse vie professionnelle, que vous avez choisie. Non, ne commencez pas à me ressortir les arguments que j’entends très souvent en supervision : c’est juste maintenant, au début, j’ai besoin de m’adapter le plus possible au client. Si vous ne le faites pas dès le début, cela va devenir de plus en plus difficile avec le temps. Donc dès le tout début, créer des limites entre le travail et la vie privée, délimitez les jours, les horaires et n’y dérogez pas. Surtout si vous travaillez à la maison ou de la maison !
Le travail empiète souvent sur le temps personnel, et cela peut donner l’impression que la journée de travail ne se termine jamais vraiment. Cela peut conduire à l’épuisement et au burn-out. Les limites bien posées entre le travail et la vie privée permettent de séparer le persona du travail de votre vie privée et de s’engager davantage dans ce qui est important pour vous, mais aussi de vous reposer et de vous ressourcer.
Un exercice
Commencez par examiner ce qui se passe en ce moment dans votre vie.
C’est le premier pas, certes petit, mais qui peut aboutir à des prises de conscience significatives.
Vous pouvez vous poser des questions suivantes :
– Où en êtes-vous avec les jours et les horaires de travail ?
– Respectez-vous le cadre que vous vous êtes donné ?
– Arrivez-vous à finir un rendez-vous à l’heure ?
– Prenez-vous de VRAIES vacances ? (peu importe ce que cela signifie pour vous, mais en tout cas, loin de toute préoccupation du travail, des mails, du téléphone, des lectures professionnelles, de formations etc etc. )
– Quel est la place du téléphone, d’SMS, d’MP, Whats’app, réseaux sociaux etc. etc. Est-ce que les messages professionnels empiètent et contaminent vos soirées de famille ou de weekend ? Quelle est votre relation aux notifications ?
– Comment se passe le respect de vos pauses ? (déjeuner par exemple)
Notez pendant une semaine tout ce que vous pouvez faire concernant le travail et observer le résultat, sans jugement.
Quels sont les axes d’améliorations que vous voyez ?
Établissez les règles qui vous conviennent, communiquez dessus (avec votre famille et vos clients) et faites-les respecter à chaque fois qu’il y a besoin. Oui, je sais, au début cela prend beaucoup d’énergie et c’est fatigant. Mais je vous assure, c’est comme la conduite : quand on apprend, c’est difficile, il faut faire attention à beaucoup de choses, mais avec le temps cela devient un automatisme.
2. Faites davantage ce que vous aimez
Prendre soin de soi ne consiste pas seulement à travailler moins – cela peut aussi signifier se concentrer sur le type de travail que vous aimez le plus. Il se peut que vous trouviez certains cas de figure ou problématiques plus épuisants, alors que d’autres vous dynamisent. Les recherches montrent que l’identification et l’utilisation de vos points forts tendent à réduire le stress.Travailler le même nombre d’heures mais avec une population qui vous recharge peut faire toute la différence à la fin de la journée ou de la semaine.
Quelques questions à vous poser
– Quels sont vos sujets de prédilection ?
– Quels sont les aspects de votre travail qui sont les plus gratifiants ?
– Qu’est-ce qui vous donne le plus d’énergie ?
– Avec quel type de client aimez-vous travailler ?
– Quand êtes-vous le plus efficace ? (Si vous êtes du matin, inutile de continuer à conduire des entretiens à 20h. Mais si vous êtes du soir, laissez-vous le loisir de dormir le matin et ne vous forcez pas à commencer la journée à 9h juste parce que les bureaux ouvrent à cette heure-là (voire à 8 h puisque vous aurez des clients qui viendront avant de commencer leur travail).
Eh non, le plus n’est pas forcément mieux. Le fait d’être honnête avec vous-même et dans vos communications au sujet de votre domaine d’activité peut en fait vous aider à attirer plus de clients du type que vous pouvez le mieux accompagner.
3. En dehors du travail
Les accompagnants ont tendance à se donner tellement à leur travail qu’il ne leur reste que peu d’énergie à la fin de la journée. Il est très important de cultiver le ressourcement au quotidien en dehors du cabinet.
Ne négligez pas vos « hobbies » – ils vous nourrissent et vous donnent de l’énergie…. et préviennent le burn out. La créativité sous n’importe quelle forme ou le contact avec la nature ou avec l’art, la musique, la marche rechargent les types de batteries dont vous ne saviez même pas qu’elles existent à l’intérieur de vous.
4. Examinez vos croyances sur le métier d’accompagnant
Les croyances que vous avez développées pour votre métier influencent considérablement votre vie, votre expérience du travail et votre énergie.. Des pensées négatives ou irréalistes peuvent rendre toute expérience ingérable.
Soyez à l’affût des croyances qui créent un stress inutile et notez vos pensées en rapport avec votre métier.
Quelques exemples pour vous donner des idées à observer :
– Je dois sauver mes clients
– Je dois toujours répondre au téléphone ou à un mail immédiatement
– Je dois avoir un carnet de rendez-vous plein
– Je dois soutenir mes clients par messages 24/24
– Je dois être présent pour mes clients à tout moment.
– Si le client n’y arrive pas, c’est ma faute, je ne suis pas assez bon.
– Je dois être gentil et présent
– Je réussirais si j’établissais un lien significatif avec mes clients.
– C’est normal d’être fatigué, ça signifie que je travaille bien.
– …..
Quelles sont les vôtres ? Observez-les et notez-les, puis examinez avec un œil extérieur. Pour vous aider, vous pouvez également questionner des thérapeutes qui travaillent dans ce domaine depuis de nombreuses années, sans épuisement. Ils ont souvent un point de vue plus équilibré. Demandez-leur ce qu’ils auraient aimé savoir au début de leur carrière.
Soyez vigilant à votre niveau d’énergie, c’est un baromètre quasi instantané qui vous montre si la posture que vous avez adoptée et les actes qui en découlent vous servent ou vous desservent.
L’épuisement envoie souvent le message que les limites ne sont pas posées ou sont malmenées. Alors écoutez votre fatigue, c’est une alliée précieuse pour vous guider.
5. Recherchez une supervision en groupe ou en individuel
Si la pratique de l’accompagnement peut être incroyablement gratifiante, elle peut aussi être épuisante et solitaire. Travailler jour après jour sur les difficultés des autres peut être très éprouvant sur le plan émotionnel, et vous vider de votre énergie et de votre joie de vivre. Partager avec des pairs lors des journées de développement de pratique ou en supervision, ou explorer des pans de votre travail à n’importe quel stade de votre carrière, peuvent vous aider à bénéficier d’un autre regard et d’un soutien. Ce n’est pas forcément d’une nouvelle formation dont vous avez besoin. Mais d’ un socle stable, soutenant. Il assure la stabilité, offre un regard extérieur et aide à prendre du recul, voilà ce qui vous aidera le plus efficacement.
Ce socle, que vous allez développer petit à petit, sera présent à la fois quand la mer est calme mais aussi quand les vagues ou une tempête arrivent. Car souvenez-vous : ce n’est pas en pleine tempête qu’on arrive à apprendre à nager. C’est infiniment plus facile et plaisant par temps ensoleillé et mer calme, voire dans une piscine. Quand on est en train de se noyer, on attrape une bouée ou on attend le canot de sauvetage. Cela nous sauve sur le moment, mais ne remplacera jamais le fait d’avoir appris à nager.
Le métier d’accompagnant est difficile, mais l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est possible : il faut le construire. J’espère que vous trouverez quelques idées qui vous serviront et vous encourageront à aller dans ce sens. Et si vous souhaitez apprendre à nager par temps calme, je serai heureuse de vous aider à construire votre équilibre, de vous accompagner dans vos questionnements à n’importe quel stade de votre métier et de vous permettre de lever la tête du guidon.
A emporter
Prendre soin de soi, c’est donner en permanence la priorité à son propre bien-être, même et SURTOUT lorsque c’est difficile. C’est la condition sine qua non d’une écologie personnelle, afin de pouvoir durer dans ce beau métier d’accompagnant. Ce sont les petits gestes répétés quotidiennement pour garder vos limites, pour vous ressourcer, et la surveillance de votre baromètre énergétique qui assurent la stabilité sur le long terme. Alors prenez-en grand soin.